[Elevage de rennes en Isère]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0759 FIGRPT0160 03
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
historique Doux le pelage, doux l'animal. Presque câlin. Venant manger le lichen dans la main. Et voilà le photographe obligé de changer ses plans. Exit, le téléobjectif. Couché dans l'herbe au beau milieu du troupeau. II saisit les réactions des bêtes, nullement troublées par notre venue dans le champ. Jean-Marie nous l'avait bien dit tout à l'heure, avant de nous emmener dans le pré clôturé de neuf : "Il faut démystifier le renne". Nous sommes déjà deux à en être persuadés. Ici, en plein département de l'Isère, au bord du parc des Ecrins, entourés par vingt-sept rennes qui ne connaissaient que leur Finlande natale il y a moins de trois semaines. Dominique Charron et Jean-Marie Davoine sont bergers de génisses depuis une dizaine d'années ; ils se sont connus à Montmorillon, où ils préparaient l'un et l'autre le B.E.P.A. de berger. Dominique est originaire de l'Anjou, Jean-Marie de Besançon, tous les deux sont âgés d'une trentaine d'années et barbus. Barbe noire et yeux clairs pour Dominique Charron, barbe broussailleuse et longue pour Jean-Marie Davoine. Et la même volonté commune de travailler en montagne, d'être leurs propres patrons, d'innover s'il le faut. Et c'est devenu une obligation si l'on veut sortir de son statut de simple salarié. "Souvent mal payé dans cette profession, même si le travail ne manque pas". De là à organiser un élevage de rennes en pleine France profonde, au pied des Alpes... Les bonnes raisons ne manquent pourtant pas : investissement minimum, vente de la viande déjà assurée, distribution simplifiée dans sa mise en place. "C'est sûr il y a en a qui nous ont pris pour des rigolos. Mais il faut savoir que nous n'avons pas besoin de beaucoup d'espace, que l'élevage de rennes ne nécessite pas d'avoir un bâtiment pour loger les bêtes, ni de matériel particulier. On a, bien entendu, procédé à une étude de marché et, avec le soutien du comité d'expansion de la Chartreuse, nous avons pu signer une convention avec le groupement des restaurants du Massif de la Chartreuse. Nous leur cédons l'exclusivité de la viande de rennes que nous produirons... Et nous avons donc la certitude que cette production sera bel et bien vendue. Enfin, chose non négligeable, les rennes n'utilisent pas les terrains qui servent aux élevages traditionnels ; ce qui fait qu'il n'existe aucune concurrence du tout, d'autant qu'ils nettoient très bien les sous-bois, sans s'attaquer aux résineux. Côté dépenses, il faut seulement compter avec le complément de foin à acheter pendant l'hiver". C'est là qu'intervient l'autre phase de la mise en place de cet élevage. "Notre métier (de berger), c'est l'été", ont l'habitude de dire Jean-Marie et Dominique. Deux des quatre mâles vont donc être utilisés pour une activité touristique hivernale. Bientôt, dès le milieu du mois de décembre, ils vont tirer des traîneaux à l'Alpe-d'Huez. "Le plus vieux, deux ans, dit Gugus, est déjà dressé, il n'y a qu'à le reprendre. Bébert, qui a un an, est seulement apprivoisé. Mais, de toutes façons, le renne n'est pas farouche et on est habitué à dresser les animaux. L'activité touristique doit donc permettre de payer le foin pour l'hiver". Du foin, une vraie manne pour ces bêtes qui ont coutume de n'avaler que du lichen pendant les mauvais mois, à vrai dire du vent puisqu'il ne recèle rien d'assimilable. Les rennes ont habituellement assez de réserves pour se nourrir peu pendant l'hiver. Alors, du foin...". Tout le troupeau va émigrer vers Huez, car il n'est pas encore suffisamment important pour le diviser. Adieu donc, pendant quelques mois, au Perier, petit village (cent-cinquante personnes inscrites sur les listes électorales) situé au-dessus de Valbonnais à une vingtaine de kilomètres de la Mure. A moins de deux heures de voiture de Lyon. Un sacré voyage pour ces animaux, qui y sont arrivés par le train. Marie-Claude, la femme de Jean-Marie Davoine, a été la première à les voir. Elle s'est installée pendant six mois dans une ferme finlandaise, a appris le finnois et s'est initiée aux moeurs des rennes. Puis elle a choisi les bêtes qui ont été achetées et parquées à part pendant plus d'un mois. En venant les voir chaque jour, dans leur enclos, elle a habitué les rennes à son contact, les a préparés en prévision des longues heures passées en commun dans les deux wagons à bestiaux transformés en bergeries. Les animaux ont parfaitement supporté cette transhumance forcée, achevée en camions entre Grenoble et le Périer (une aide gratuite des transports Jausserand). Question acclimatation, cette grande différence de latitude est certainement le problème le plus épineux. Les rennes ne sont, en effet, pas habitués au cycle des nuits françaises, mais des expériences, déjà tentées dans ce sens, laissent espérer que les bêtes ne s'en ressentiront pas trop. Curieusement, la moyenne de température ne présente guère de différence entre les Alpes et la Finlande, de même pour la nourriture. "On leur donne un peu de lichen finlandais pour l'instant, expliquent Jean-Marie et Dominique. Mais c'est une gâterie plus qu'autre chose. Il y a suffisamment de choses à manger dans les champs. Sur les terrains que la commune du Périer a recherché pour nous. La municipalité a d'ailleurs été un soutien moral très important. D'autant que nous n'avons bénéficié d'aucune aide financière et qu'il a fallu emprunter auprès des banques. Les aides, ce sera peut-être pour plus tard... quand on aura fait nos preuves". Et ce ne sera pas avant l'automne 1988. En effet, sur un cheptel de vingt-sept bêtes, les vingt et une femelles sont seulement âgées de six mois, nées au printemps, elles ne pourront être saillies avant l'automne prochain et les mises bas sont prévues pour mai 1988. C'est alors et alors seulement, les premiers résultats seront connus. "D'où l'importance du peu d'investissement nécessaire". Dominique Charron et Jean-Marie Davoine réduisent au minimum les dépenses obligatoires, mais il leur à quand même fallu payer les rennes (1500 francs pour une jeune femelle, 2200 francs pour un mâle), le transport ferroviaire et la construction des traîneaux (en dural pour qu'ils soient très légers). L'hiver à l'Alpe-d'Huez, tourisme oblige, avec un circuit d'environ un quart d'heure, l'été au Perier, la vie va s'organiser. Et dans deux ans, de la viande de renne dans votre assiette. Une chair fine, délicate, maigre. Devant être vendue, en carcasse, aux alentours de 60 francs le kilo. En exclusivité, les premières années, chez les restaurateurs affiliés au groupement du Massif de la Chartreuse. A partir de 1988. Source : "On mangera du renne en 1988" / Laurent Perzo in Lyon Figaro, 3 décembre 1986, p.48.
historique Les deux bergers français avaient convoyé vingt-sept rennes finlandais vers les Alpes françaises. En mai 1987, Lyon Figaro annonce qu'il ne reste plus, à cette date, que deux mâles et une femelle, entérotoxémie et stress dû à la captivité ayant décimé le troupeau (cf. Lyon Figaro, 28 mai 1987, p.40).
note bibliographique "Elevage de rennes dans l'Isère" in Lyon Figaro, 18 novembre 1986, p.8.

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